30 mars 2016

La révolution au Brésil commence à révéler ses vraies couleurs

 
«... Appelez cela un coup d'État à blanc. Appelez-le changement de régime. Appelez-le révolution de couleur brésilienne. Sans l'Otan. Sans l'impérialisme humanitaire. Pas de sang versé ni de zillions de dollars US perdus, comme en Irak, en Libye ou en Syrie. Si propre. Si légal. Comment se fait-il que les théoriciens de l'Empire du Chaos n'y aient jamais pensé avant ?»

Alors que nous approchons High Noon dans le western politico-économique sauvage au Brésil, voici ce qui est en jeu à la suite de mon article précédent sur Russia Today.

Durant les cinq derniers jours, le ciel nous est tombé sur la tête. Cela a commencé avec le juge Sergio Moro, l’Elliott Ness tropical depuis deux ans, 24/24 7/7, à la tête d’une enquête de corruption dénommée Car Wash, manipulant grossièrement l’écoute téléphonique – illégale – d’une conversation entre Lula et Dilma Rousseff, qu’il a dûment laissée fuiter aux médias de masse et l’utilisant immédiatement comme preuve que Lula pourrait revenir au pouvoir, en tant que chef d’état-major au gouvernement, parce qu’il aurait peur d’Elliott Ness.

Alors que le moment crucial de la guerre de l’information totale se jouait au Brésil – avec l’hégémonique empire médiatique Globo et les grands journaux salivant plus que jamais pour un coup d’État à blanc par un changement de régime – la fragile preuve turbocompressée a boosté la procédure de destitution de Rousseff à un niveau stratosphérique.

La conversation

La politisation effroyable du pouvoir judiciaire brésilien est maintenant un fait accompli, avec un juge très motivé par l’opportunisme et / ou les intérêts et agendas politiques louches des multinationales. Cela implique une normalisation des procédures illégales telles que les écoutes téléphoniques des avocats de la défense et même de la Présidente (Edward Snowden, dans un léger aparté, a déclaré que Rousseff n’utilise toujours pas la cryptographie dans ses communications).

Les magistrats de la Cour suprême – au moins jusqu’à présent – n’ont pas sanctionné Elliott Ness pour son maraudage illégal dans les conversations téléphoniques de la présidente et pour la fuite, tout aussi illégale, de la conversation entre Lula et Rousseff (il n’y a aucun motif pour les impliquer dans quelque acte répréhensible, comme Elliott Ness l’a lui-même admis).

Le second de cordée dans le suspens est un magistrat de la Cour suprême, Gilmar Mendes – une marionnette notoire de l’opposition – utilisant les écoutes téléphoniques illégales pour suspendre le nouveau rôle de Lula ; ce qui a été exigé de lui par deux partis d’opposition. Le retour de Lula au gouvernement est un double anathème pour la foule de ceux qui veulent un coup d’État à blanc par un changement de régime ; d’abord l’articulation politique – qui peut finir en défaite de la procédure de destitution contre Rousseff ; et ensuite une aide fondamentale à l’administration Rousseff pour commencer au moins à maîtriser la crise économique.

Il est essentiel de noter que la décision unilatérale de Mendes a été prise à peine un jour et demi après qu’il eut un long déjeuner avec deux poids lourds de l’opposition, l’un d’entre eux étant le banquier chéri de Wall Street et ancien protégé de Soros, Arminio Fraga.

Mendes a non seulement poussé l’administration dans les cordes ; il est allé plus loin en remettant à nouveau à Elliott Ness la compétence pour enquêter sur Lula dans l’affaire Car Wash, et ce, après que Moro lui-même a déjà été forcé, par la loi, de transférer la compétence de juridiction à la Cour suprême, alors que Lula était sur le point d’obtenir un ministère. Trois millions de personnes dans la rue pour la plus grande manifestation de rue jamais vue au Brésil

Mendes n’a pas compétence pour le faire – comme l’ont souligné d’autres juges de la Cour suprême ; il a usurpé celle-ci au magistrat rapporteur du dossier Car Wash auprès de la Cour suprême, Teori Zavascki. Alors maintenant, c’est à Zavascki qu’il revient d‘affirmer sa compétence en la matière.

Essentiellement, la fuite de l’enregistrement téléphonique est truffée de graves illégalités, comme l’a noté un échantillon de juristes ; depuis la fuite qui a eu lieu après que Moro lui-même avait décidé que l’enregistrement devrait être ignoré, jusqu’au fait qu’une révélation de communication présidentielle ne pouvait être autorisée que par la Cour suprême. Ce qui nous amène à l’agenda politique caché derrière la fuite : exposer Lula à l’exécration publique et le mettre en conflit avec les politiciens et le pouvoir judiciaire.

Lula a présenté une demande d’habeas corpus devant la Cour suprême, signé par certains des meilleurs juristes du Brésil, alors que le gouvernement est sur le point de présenter son propre recours contre le blocage de la nomination de Lula. La balle est à la Cour suprême – et tous les paris sont ouverts.

Qu’est-ce que la primauté du droit ?

La Cour suprême du Brésil, en fait, a cessé d’agir comme un arbitre suprême, car certains de ses membres refusent d’admettre tous les signes actuels d’un État policier. Cela se produit alors qu’une ruée de procureurs et un troupeau d’enquêteurs de la Police fédérale brésilienne – l’équivalent du FBI – peuvent désormais être identifiés comme de simples pions dans l’enquête ultra-politisée Car Wash.

En un mot : la Justice au Brésil est maintenant totalement politisée. Et l’objectif de Car Wash se révèle maintenant clairement dans la criminalisation pure et simple d’absolument tout ce qui concerne les gouvernements de la coalition dirigée par le Parti des travailleurs depuis le début du premier mandat de Lula en 2003.

Car Wash n’a rien à voir avec l’éradication de la corruption dans la politique brésilienne ; si c’était vraiment ça la cible, les meilleurs politiciens de l’opposition feraient l’objet d’enquêtes, et nombre d’entre eux seraient déjà derrière les barreaux. En outre, le schéma de corruption effroyable dans le développement des lignes de métro de São Paulo n’aurait pas été traitée seulement comme l’œuvre d’un cartel d’entreprises, sans politiciens impliqués ; le racket du métro de São Paulo suit la même logique que le schéma de corruption découvert – par la NSA – à l’intérieur de Petrobras.

L’État de droit au Brésil a été avili au niveau du Sultan Erdogan – mettant en vedette des chefs d’entreprise, avec les mauvaises connexions politiques, emprisonnés sans procès pendant des mois, qui se traduit par une manipulation aussi flagrante de l’opinion publique, la tactique préférée de Mani Pulite dont Moro et son équipe sont des fans.

La feuille de route est sombre. La Constitution brésilienne est en lambeaux, soumise à une logique de coup d’État à blanc qui doit être mise en œuvre par tous les moyens nécessaires. La politisation de la magistrature se déroule en parallèle de la spectacularisation par les grands médias de tout ce qui touche le processus, criminalisant la politique, mais seulement les politiciens choisis.

Les intérêts économiques, extrêmement concentrés au Brésil, sont prêts à soutenir tout accord qui signifierait la fin de la guerre politico-judiciaire, alors que l’économie du pays reste totalement paralysée – et polarisée. A l’intérieur du Congrès brésilien – immensément corrompu – une commission spéciale pour délibérer sur la destitution de Rousseff a été nommée, dont trente-six membres douteux du Parlement qui sont eux-mêmes confrontés à des problèmes judiciaires innombrables ; Kafka ou les dadaïstes n’auraient jamais imaginé quelque chose d’aussi absurde.

Ainsi, le plan de route dépend maintenant de la façon dont cette commission douteuse de mise en accusation progressera – ou pas. L’un des scénarios possibles est l’éviction de Rousseff dès la fin avril, même si elle n’a pas été officiellement accusée de tout acte répréhensible ; les suspects habituels de l’Empire du Chaos et les élites compradores locales contiennent à peine leur joie lorsqu’ils informent Bloomberg ou le Wall Street Journal. Mais alors il y a le facteur Lula.

Comme mon coup était doux

En supposant que Lula puisse être de retour en action dans les prochains jours, une vaste coalition politique – que l’opposition veut tuer par tous les moyens – aura besoin de 171 voix pour briser la mise en accusation à la Chambre basse ; alors seulement l’administration pourra désamorcer la crise politique pour faire face au sérieux de la crise économique.

Dans le scénario extrêmement fluide d’une série au suspense haletant, il n’y aurait que deux solutions négociées possibles : une sorte de succédané juridique de parlementarisme, avec Rousseff encore présidente, et Lula en tant que Premier ministre de facto ; et un succédané de parlementarisme tous azimuts, avec Lula en charge de toutes les articulations politiques du gouvernement.

Un pacte – forgé au cours de dîners secrets à Brasília – entre le PSDB (les anciens sociaux-démocrates mutés en néolibéraux forcenés) et le parti PMDB (l’autre rouage important au sein de la coalition au pouvoir du Parti des travailleurs) a été scellé pour tuer les deux options. Le PMDB, incidemment, est tristement célèbre pour – devinez-quoi ? – ses politiciens corrompus, et non pas son aptitude au gouvernement.

Tous les yeux sont maintenant braqués sur la Cour suprême et le Congrès brésilien – vautré dans la corruption. Lula, dans l’œil de l’ouragan lui-même, est dans la position la plus enviable. Il aura besoin d’utiliser tout son capital politique et ses talents de négociateur, acquis durant des décennies, pour trouver un compromis politique de sortie.

La rue brésilienne reste totalement radicalisée ; la logique (?) de la haine aveugle prévaut alors que pratiquement toutes les possibilités de médiation juridique ou politique, sans parler du simple bon sens civilisé, ont été gelés. La démocratie brésilienne – une des plus saines dans le monde – est maintenant étranglée par la logique étouffante de l’étreinte de python d’un État policier.

Ce qui nous amène au scénario sordide qui pourrait aussi bien se jouer avant l’été. Un Congrès lâche, très conservateur, expulse Roussef du pouvoir ; le vice-président Temer du PMDB, entre en scène, le pays est pacifié et les investisseurs étrangers proverbiaux, Wall Street, les frères Koch aux États-Unis, saluent le coup d’État à blanc ; l’hystérie Car Wash disparaît lentement – comme par magie – car il est hors de question que les anciens mandarins de l’opposition puissent être inculpés ou aller en prison (ce qui est réservé au Parti des travailleurs).

Kafka et les dadaïstes à la rescousse, encore une fois ; c’est exactement le changement de régime soft qui a été conclu à Brasília par une méchante mafia : des politiciens (corrompus) sélectionnés, achetés et payés par les élites compradores brésiliennes ; des hommes d’affaires sélectionnés ; une grande partie du pouvoir judiciaire coopté ; et les médias de masse (dirigés par quatre familles).

Appelez cela un coup d’État à blanc. Appelez-le changement de régime. Appelez-le révolution de couleur brésilienne. Sans l’Otan. Sans l’impérialisme humanitaire. Pas de sang versé ni de zillions de dollars US perdus, comme en Irak, en Libye ou en Syrie. Si propre. Si légal. Comment se fait-il que les théoriciens de l’Empire du Chaos n’y aient jamais pensé avant ?

L’impérialisme humanitaire est si vieux, Hillary ; au moins les Maîtres de l’Univers auront un nouveau modèle à appliquer partout dans le monde en développement. Chouette ! Les beaux jours – du changement de régime – sont revenus.

Et n’espérez pas lire tout ça dans les grands médias occidentaux.

Par Pepe Escobar Source Russia Today
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