13 septembre 2015

Syrie : banalisation de l’horreur


Si nous n’écrivons pas plus fréquemment nos lettres d’Alep, et pourtant vous, nos amis, ne cessez de les demander, c’est parce que nous pensons que la répétition de la dénonciation des crimes commis et des souffrances endurées par les Syriens, risque de les banaliser. Nous craignons que, à force de lire les atrocités qui sont commises en Syrie, vous ne perdiez votre faculté d’indignation, que vous vous résigniez à accepter l’inacceptable, et de ce fait, que nous participions tous à la banalisation de l’horreur. Et pourtant, nous ne pouvons pas ne pas raconter et partager avec vous les souffrances de notre peuple.

Alep manque d’eau et les Alepins ont eu très soif et très chaud cet été. Ce n’était pas à cause d’une sècheresse ou de la baisse du niveau de l’eau dans l’Euphrate. La station de pompage existe toujours, elle n’a pas été détruite. Les réservoirs et les bassins sont pleins. L’eau qui s’y trouve est, tous les jours, vidée dans la nature plutôt que d’être pompée dans les conduites d’eau de la ville.


Nous sommes ainsi laissés à la merci des bandes armées qui ont décidé de nous laisser sans eau (avec 40 degrés à l’ombre) pendant de nombreuses semaines. Les files d’attente sont très longues devant les robinets alimentés par les puits qui existent dans les jardins publics, les églises et les mosquées, pour pouvoir remplir bidons, bouteilles et seaux. Pour régler ce problème, les autorités n’ont trouvé d’autre solution que de décider d’un programme de forage de 80 puits, qui, avec les puits existants, pourraient satisfaire le minimum vital d’eau d’une population de 2 millions d’habitants. Alep est devenue un gruyère tellement on y fore des puits et les Alepins commencent à oublier ce qu’est l’eau courante puisqu’il leur faut aller chercher l’eau du puits. Il y a un an, pour ce même crime, vous avez été nombreux à protester et vos médias aussi. Aujourd’hui avec la répétition du crime, il est devenu banal et personne n’en parle plus.

Alep manque d’électricité, « on » ne nous la fournit pas ; Ah si, occasionnellement une heure par jour. Il y a 2 ans, quand nous l’avions 4 heures par jour, vous aviez protesté contre ces groupes armés alliés de vos gouvernements qui arrêtaient intentionnellement la fourniture d’électricité. Depuis, les choses ont empiré mais on n’en parle plus, c’est devenu tellement banal et ordinaire.

Il y a un an, quand les barbares ont commencé à détruire les sites archéologiques en Irak et en Syrie, patrimoine de l’humanité et mémoire de notre histoire, certains ont protesté. Depuis, « ils » continuent à détruire les trésors de la Syrie ; les 2 principaux temples de Palmyre, joyau du désert syrien étant les derniers à être détruit. « Ils » veulent raser tout ce qui rappelle l’histoire multimillénaire du pays. « Ils » veulent que l’Histoire commence avec eux et personne ne dit rien ; C’est devenu banal.

Ils égorgent des êtres humains. Vous avez protesté il y a un an quand ils ont égorgé quelques occidentaux. Pourtant ils n’étaient pas les premiers ! Des centaines de Syriens avaient déjà été victimes de cette barbarie. Beaucoup d’autres ont suivi ; le dernier en date était le directeur des antiquités de Palmyre, un savant de 82 ans, mais plus personne ne proteste. Banalisation ! Bof, égorger un être humain comme on égorge un mouton et alors !!!

« Ils » ont enlevé des centaines de chrétiens et de Yezidis en Irak. C’était il y a presque un an. Vous vous êtes indignés et vos dirigeants ont protesté en faisant des déclarations tonitruantes qui ont fait pschitt comme un pétard mouillé. Depuis, « ils » ont enlevés des centaines de chrétiens assyriens à Hassake, d’autres à Quariatayn au centre de la Syrie. Et personne n’a protesté. C’est devenu banal, ça ne choque plus ; et alors, dites-vous, si on devait s’indigner aussi parce qu’ils vendent les femmes comme esclaves, on n’arrêterait pas de se lamenter ; pour si peu…

La Syrie se vide de son peuple, surtout de ses chrétiens. Ils sont devenus les « réfugiés » qui vous dérangent tant. Il faut les écouter raconter leurs souffrances et les dangers qu’ils affrontent pour passer clandestinement en Europe. Ah, ils n’ont qu’à rester chez eux, dites-vous ? Mais chez eux, c’est l’enfer, c’est le chaos, c’est la mort. Ce ne sont pas des migrants comme vous vous plaisez à les appeler pour soulager votre conscience, ce sont des réfugiés ; et puis, si les réfugiés vous dérangent tellement, pensez-y doublement la prochaine fois avant de déclencher la guerre dans leur pays. Entre-temps, arrêtez celle que vous avez déclenchée en Syrie et vous verrez le flot des réfugiés qui vous dérangent se tarir, les gens préférant de loin rester chez eux et garder leur dignité. Il ne faut pas oublier les milliers de réfugiés qui sont morts par noyade ou asphyxie. Vous ne vous êtes indignés que quand vos médias vous ont montré l’image déchirante et médiatisée du petit Aylan sur une plage turque. Il fallait le faire avant et aussi, maintenant, après ce drame.

Mais, mourir en mer, c’est devenu tellement banal !


Devant tant de misères, de souffrances, de morts, de destructions et de drames, nous, les Maristes Bleus, ne pouvions pas rester les bras croisés. Nous dénonçons, nous attirons l’attention, nous refusons l’inacceptable, nous protestons, nous informons et nous agissons.

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