18 septembre 2015

Abrutissement : Les Khmers pédagos


Il est une vieille ligne de partage des eaux entre « pédagogues » et « républicains » qui ne veut plus dire grand-chose. La vraie ligne de démarcation est entre tenants des pédagogies explicites (c'est-à-dire transmission de savoirs rigoureux) et des pédagogies implicites (« construction » par l'élève, « acteur » de sa propre instruction, d'un savoir de bric et de broc parfaitement hallucinant). 
 
Rouleau compresseur

Dans un article tout à fait passionnant, Alain Beitone, professeur en classes préparatoires de Sciences économiques et sociales, auteur de manuels réputés, animateur inlassable d'une réflexion sur les pratiques pédagogiques, et incidemment homme de gauche, assène quelques vérités d'évidence - elles qu'il faut constamment répéter, car elles sont les premières, étant évidentes, à être réfutées par les idéologues.

« La critique des disciplines scolaires, note-t-il d'emblée, est devenue un véritable rouleau compresseur. » Et de citer l'Institut français d'éducation, qui, sous la plume de Catherine Reverdy, stigmatise les « carcans disciplinaires » auxquels elle préfère, bien sûr, les « contenus transversaux ». Il faut pour elle « éduquer au-delà des frontières disciplinaires ». C'est beau. Mais c'est idiot.

C'est idiot et c'est dangereux. C'est sur les « recherches » de tels illuminés que s'appuie le ministère pour promouvoir une réforme rejetée par plus de 80 % des parents et des enseignants. Mme Vallaud-Belkacem tient ferme sur ses positions - et peu m'importe, à moi, que le PS le paie comptant dans les urnes dans deux mois ou dans deux ans. Tout comme elle persiste à appuyer un enseignement de la lecture issu de pratiques aberrantes, alors que toutes les études les plus sérieuses vont dans le même sens : seules les méthodes de déchiffrage du code (en clair, les méthodes alpha syllabiques) donnent de bons résultats, surtout avec des élèves culturellement défavorisés. On a beau le répéter au ministre, il n'est pire sourd que celui qui est soumis aux diktats de l'idéologie. On essaie même de la réveiller en se moquant gentiment, rien n'y fait. 
 
Les Khmers pédagos

Au cœur de cette surdité ministérielle, un débat profond, très ancien, entre les tenants de la transmission des savoirs disciplinaires (ce que l'on appelle la « pédagogie explicite ») et ceux des pédagogies implicites, qui font des ravages depuis plus de trente ans (Alain Beitone explique fort bien que l'instauration de la sociologie à l'école fut marquée dès l'origine d'une hésitation sur le statut de cette discipline des confins). D'où les protestations des « progressistes », les vrais conseillers des réformes en cours, les vrais Khmers pédagos qui font la loi depuis si longtemps rue de Grenelle. Ainsi Jean-Michel Zakhartchouk a attaqué frontalement, en réponse à Beitone, l'idée que les disciplines valent la peine d'être maîtrisées avant d'être transmises - tant, il est vrai, que les disciplines bien maîtrisées amènent un respect de la discipline en tant que reconnaissance du savoir (même si savoir n'est pas tout dans la tenue d'une classe). Pas de ça, Lisette !

Situons un peu mieux le personnage. Zakhartchouk a soutenu de toutes ses forces le projet aberrant de Najat Vallaud-Belkacem. Cet ancien prof de lettres - il est aujourd'hui retraité - a reçu en 2007, en récompense de ses actions au service du camp du Bien, l'agrégation par liste d'aptitude (si, c'est possible, comme dans toute la fonction publique d'État), ce qui fait grincer quelques dents de collègues, des jaloux probablement. Il a été sollicité par la commission des programmes pour exprimer sa pensée profonde sur les « compétences » qu'il suffisait de faire partager à des mômes pour les transformer en citoyens responsables. Bravo.

Incidemment, il a vomi sur Le Pacte immoral (Albin Michel, 2011), le livre sur l'école de l'excellente Sophie Coignard, au moment où j'en disais moi-même tout le bien que j'en pense. La ligne de fracture est visible, on peut la toucher du doigt. Et tout récemment, cet homme de gauche, flairant que d'autres majorités se dessinent à l'horizon 2017, a encensé le livre d'Alain Juppé dont, franchement, il n'y a pas grand-chose à retenir. 
 
On est jamais trop savant

On pourrait croire que nous écrivons l'un en regard de l'autre. Il n'en est rien. Ce qui m'oppose (moi et tous les pédagogues intelligents qu'il m'a été donné de rencontrer) aux énergumènes du pédagogisme, c'est justement ma certitude qu'une maîtrise des disciplines est la clé principale d'une école heureuse et épanouie. On n'est jamais trop savant. Et l'idée, relayée abondamment par les ESPE, selon laquelle un étudiant en fin de licence en sait bien assez et peut désormais se consacrer à la pédagogie est une idée criminelle dont il faudra bien que ses promoteurs répondent, un jour ou l'autre.

Parce que l'école vit de transmission, de savoirs passés de maître à élève, et qu'aucun élève ne « construit » lui-même ses savoirs. Aucun !

Plus profondément, en ces temps d'incertitudes qui ont engendré dans les têtes creuses du ministère ce gadget inutile intitulé « éducation civique et morale », c'est par la connaissance que s'élabore lentement une morale. C'est en nourrissant le petit homme de savoirs étendus, explicites, aussi profonds et précis que possible, que l'enfant accède à l'humanité. Pas en ânonnant les mantras du Bien. Tant que l'instruction n'est pas remise au cœur du système, nous glisserons sur la pente fatale sur laquelle tant de pays ont sombré.

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