05 juillet 2015

Une réflexion intéressante de George Orwell

George Orwell en 1933

"Le mendiant n'est en réalité qu'un homme d'affaires qui se procure de quoi subsister"

Mieux connu pour ses romans La Ferme des Animaux (1945) et 1984 (1949), George Orwell (pseudonyme de Eric Arthur Blair) a été l'un des plus notables écrivains politiques de son époque. Le court extrait qui suit est tiré du chapitre 31 du premier livre écrit par Orwell, Down and Out in Paris and London (1933) [Dans la dèche à Paris et à Londres], un récit semi-autobiographique de la vie dans la pauvreté au cœur des deux cités. Bien que le mot "mendiant" soit aujourd'hui rarement prononcé, les "êtres humains ordinaires" qu'il décrit font évidemment toujours partie de notre vie. Voyez si vous êtes ou non d'accord avec la thèse d'Orwell.

Cela vaut la peine de parler de la position sociale des mendiants, car après les avoir fréquentés et découvert qu'ils sont des êtres humains comme vous et moi, on ne peut s'empêcher d'être frappé par l'attitude curieuse que la société manifeste à leur égard. Il semblerait que les gens ressentent une différence essentielle entre les mendiants et les "travailleurs" ordinaires. Ils sont une race à part – des parias, comme les criminels et les prostituées. Les travailleurs "travaillent", les mendiants ne "travaillent" pas ; ce sont des parasites, des bons à rien par nature. Il est considéré comme acquis qu'un mendiant ne "gagne" pas sa vie, comme le fait un maçon ou un critique littéraire. Il est une pure excroissance sociale, toléré parce que nous vivons à une époque "humaine", mais c'est quelqu'un de fondamentalement méprisable.

Pourtant à y regarder de plus près on voit qu'il n'y a pas de différence fondamentale entre les moyens d'existence d'un mendiant et ceux d'innombrables personnes respectables. Les mendiants ne travaillent pas, dit-on ; mais, alors, c'est quoi travailler ? Un terrassier travaille en maniant une pioche. Un comptable travaille en additionnant des chiffres.

Un mendiant travaille dehors par tous les temps et cela lui vaut des maladies comme de la bronchite chronique, des varices, etc. C'est un métier comme les autres ; tout à fait inutile, certes, mais il existe alors aussi beaucoup de métiers honorables qui sont inutiles. Et en tant que personne sociale, un mendiant supporte bien la comparaison quant aux résultats. Il est honnête comparé aux vendeurs de médicaments en vente libre, affable comparé aux vendeurs de contrat à tempérament, mieux intentionné comparé au propriétaire d'un journal du dimanche – en bref, un parasite, mais un parasite passablement inoffensif. Il extorque rarement plus que de quoi subsister à la communauté et, ce qui devrait le justifier à nos yeux, selon notre idée de l'éthique, c'est qu'il le paie au prix fort par la souffrance. Je ne pense vraiment qu'il y ait quoi que ce soit permettant de placer un mendiant dans une classe différente de celle des autres ou de donner aux hommes actuels le droit de le mépriser.

Alors surgit une question, pourquoi les mendiants sont-ils des objets de mépris ? – car ils sont méprisés, universellement. Je crois que c'est pour la simple raison qu'ils échouent à gagner leur vie décemment. En pratique, personne ne se soucie de savoir si le travail est utile ou inutile, productif ou parasite ; la seule chose demandée est qu'il soit profitable. Dans tous les discours actuels sur l'énergie, l'efficacité, le service social et tout le reste, qu'entend-on d'autre que "obtenir de l'argent, l'obtenir légalement et en obtenir beaucoup" ? L'argent est devenu le grand test de la vertu. À ce test, les mendiants échouent et pour cela ils sont méprisés. Si on pouvait gagner jusqu'à dix livres par semaine en mendiant, cela deviendrait immédiatement une profession respectable. Le mendiant n'est en réalité qu'un homme d'affaires qui se procure de quoi subsister, comme d'autres hommes d'affaires, avec ce qui lui tombe sous la main. Il n'a pas, comme bon nombre de gens actuels, vendu son honneur ; il a simplement fait l'erreur de choisir un métier par lequel il est impossible de s'enrichir.
(1933)

Par George Orwell
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