28 janvier 2015

Les Livres Maudits – L’Affaire du Professeur Filippov

Dans la nuit du 17 au 18 octobre 1903, le savant russe Mikhaïl Mikhaïlovitch Filippov fut trouvé mort dans son laboratoire. Il avait été sans doute assassiné sur ordre de l’Okhrana, police spéciale du tsar. La police saisit tous les dossiers du savant, et notamment le manuscrit d’un livre qui devait constituer sa 301eme publication. L’empereur Nicolas II examina lui-même le dossier, puis le laboratoire fut complètement détruit et les papiers brûlés.

Le livre saisi s’intitulait: La révolution par la science ou la fin des guerres. Ce n’était pas un livre uniquement théorique. Filippov avait écrit à des amis — et ses lettres ont dû être ouvertes et lues par la police secrète — qu’il avait fait une prodigieuse découverte. II avait en effet trouvé le moyen de transmettre par radio, sur un faisceau dirigé d’ondes courtes, l’effet d’une explosion. Il écrivait lui-même dans une des lettres qu’on a effectivement retrouvées: « Je peux transmettre sur un faisceau d’ondes courtes toute la force d’une explosion. L’onde explosive se transmet intégralement le long de l’onde électromagnétique porteuse, ce qui fait qu’une cartouche de dynamite explosant à Moscou peut transmettre son effet jusqu’à Constantinople. Les expériences que j’ai faites montrent que ce phénomène peut être produit à des milliers de kilomètres de distance. L’emploi d’une telle arme dans la révolution fera que les peuples se lèveront et que les guerres vont devenir totalement impossibles. »

On comprend qu’une menace de ce genre ait ému l’empereur et que le nécessaire ait été fait très vite et de façon très efficace.

Avant d’entrer dans les détails de l’affaire, donnons quelques précisions sur Filippov lui-même.

Savant tout à fait éminent, il avait publié le travail de Constantin Tsiolkovsky: L’exploration de l’espace cosmique par des engins à réaction. Sans Filippov, Tsiolkovsky serait resté inconnu si bien que c’est à Filippov que l’on doit indirectement Spoutnik I et l’astronautique moderne. Filippov a traduit également en français et ainsi fait connaître dans le monde entier l’ouvrage capital de Mendeleev, Les bases de la chimie, où se trouve exprimée la fameuse loi de Mendeleev qui donne une table périodique des éléments.

Filippov avait aussi créé une très importante revue de vulgarisation scientifique d’un haut niveau, la première en Russie, qui s’intitulait Revue de la science.

Il était marxiste convaincu et cherchait à diffuser des idées marxistes, si dangereux que c’ait pu être alors.

Tolstoï note dans son journal, à là date du 19 novembre 1900: « J’ai discuté du marxisme avec Filippov; il est très convaincant. »

Mais Filippov ne se borna pas à être un savant, il fut aussi l’un des grands écrivains russes. Il publia, vers 1880, Le siège de Sébastopol, roman que Tolstoï et Gorki s’accordèrent à trouver admirable.

On peut se demander comment une vie si brève —Filippov fut assassiné à l’âge de quarante-cinq ans — a pu être si remplie. Il a rédigé une encyclopédie entière, créé une revue qui regroupa tous les savants russes et qui publia également des articles d’écrivains comme Tolstoï et Gorki. Toute sa vie, il a œuvré non seulement pour la diffusion de la science, mais aussi pour celle de la méthode scientifique.

Son fils, Boris Filippov, qui vit encore, a publié sur son père une biographie: Le chemin semé d’épines, deux fois rééditée aux Editions de la Science à Moscou en 1960 et 1969.

Filippov avait également étudié l’esthétique sur le plan marxiste et son œuvre, dans ce domaine comme dans beaucoup d’autres, est resté classique. Il a beaucoup influencé Lénine et l’on a des raisons de penser qu’il est l’auteur de la fameuse phrase: «Le communisme c’est les Soviets plus l’électrification. » II avait éveillé chez Lénine l’intérêt pour la recherche scientifique avancée, et est partiellement responsable de l’expansion de la science soviétique.

Voilà donc le personnage: vulgarisateur scientifique, grand écrivain, expérimentateur, théoricien des rapports entre science et marxisme, révolutionnaire convaincu, surveillé par la police depuis l’assassinat de l’empereur Alexandre II.

Que penser de la réalité de son invention ?

Rappelons d’abord qu’une invention très analogue vient d’être effectivement réalisée aux Etats-Unis : ce qu’on appelle improprement la bombe à argon.

Le principe de cette invention est connu: l’énergie fournie par l’explosion d’une cartouche de dynamite ou d’un morceau de plastic dans un tube de quartz comprime de l’argon gazeux qui devient intensément lumineux. Cette énergie lumineuse est concentrée dans un faisceau laser et transmise ainsi, sous forme de lumière, à grande distance.

On est arrivé déjà à incendier une maquette d’avion en aluminium à une hauteur de mille mètres.-Le survol de certaines régions des Etats-Unis est actuellement interdit aux avions parce qu’on s’y livre à des expériences de ce genre. Et l’on espère pouvoir installer ce dispositif sur des fusées et s’en servir pour incendier d’autres fusées, ce qui constituerait une parade efficace, même à l’encontre de la fusée multiple porteuse de bombe H.

Une forme incomplète de l’appareil de Filippov a donc été effectivement réalisée.

Filippov ne connaissait certainement pas le laser, mais il étudiait les ondes ultracourtes, d’une longueur d’environ un millimètre, qu’il produisait au moyen d’un générateur à étincelles. Il avait publié quelques travaux à ce sujet. Or, même aujourd’hui, les propriétés de ce genre d’ondes ne sont pas totalement connues et Filippov a fort bien pu trouver le moyen de convertir l’énergie d’une explosion en un faisceau étroit d’ondes ultra-courtes.

Il peut paraître surprenant qu’un savant isolé ait pu faire une découverte si importante, découverte totalement perdue. Mais il existe plusieurs arguments contre cette objection.

D’abord, Filippov n’était pas un savant entièrement isolé. Il était en rapport avec les plus grands esprits scientifiques du monde entier, Usait toutes les revues et était doué d’un esprit encyclopédique capable d’opérer à la frontière de plusieurs sciences et d’en faire la synthèse.

D’autre part, malgré tout ce qu’on raconte sur les équipes scientifiques, il reste néanmoins vrai que les découvertes sont encore faîtes par les individus. Comme le disait Winston Churchill: «Un chameau est un cheval mis au point par un comité. »

Les grandes découvertes de notre époque, notamment dans le domaine de la physique, ont été le fait d’individus: l’effet Mössbauer, qui permet la mesure des très petites longueurs par la radioactivité, le principe de non-conservation de la parité qui a bouleversé toute notre conception du monde en montrant que la droite et la gauche sont des réalités objectives dans le micro univers, l’effet Ovshansky qui permet de fabriquer des verres doués de mémoire. Alors que de grandes équipes comme le C.E.A. ou le C.E.R.N. n’ont rien découvert du tout, bien qu’elles aient dépensé des centaines de milliards. Filippov n’avait pas beaucoup d’argent, mais n’avait pas de formalités administratives à remplir pour obtenir un appareil, ce qui lui permettait d’avancer vite.

D’autre part, Filippov travaillait lorsque la science des hyperfréquences n’en était qu’à ses débuts, et les pionniers ont souvent une vision claire de territoires qui ne sont découverts que des siècles plus tard.

Pour ma part, je suis persuadé que Filippov avait réalisé en laboratoire des expériences concluantes, qui prouvaient que son procédé pouvait être généralisé.

Faisons-nous un instant l’avocat du diable, et demandons-nous si l’empereur Nicolas II de Russie, en faisant assassiner Filippov et détruire son livre et ses dossiers, n’a pas sauvé le monde de l’anéantissement.

La question mérite d’être posée. Filippov a été assassiné en 1903. S’il avait alors publié son procédé, celui-ci aurait certainement été au point, prêt à servir pendant là guerre de 1914-1918. Et toutes les grandes villes d’Europe, et peut-être d’Amérique, auraient pu être détruites.

Et pendant la guerre 1939-1945 ? Hitler, en possession du procédé Filippov, n’aurait-il pas anéanti complètement l’Angleterre, et les Américains le Japon ?

Il est à craindre que nous ne devions répondre à ces questions par l’affirmative. Et il n’est donc pas exclu que l’empereur Nicolas II, généralement honni, ne doive être compté au nombre des sauveurs de l’humanité.

Qu’arrivera-t-il aujourd’hui, en 1971, si quelqu’un trouve un moyen d’utiliser le procédé Filippov pour transmettre à distance l’énergie des explosions nucléaires, des bombes A et H. Ce serait évidemment l’apocalypse et la destruction totale du monde.

Et ce point de vue, qu’il soit question de l’invention de Filippov ou d’autres inventions, commence à être largement partagé. La science moderne admet qu’elle est devenue aujourd’hui trop dangereuse, et nous avons cité dans notre prologue des avertissements venus de savants éminents.

Ce sont là des avertissements graves.

Les dirigeants du mouvement « Survivre », les Prs

Grothendieck et Chevalley ne s’en tiennent d’ailleurs pas là, mais tentent d’isoler complètement la science et d’empêcher toute collaboration entre savants et militaires. Tant qu’on y est, on devrait également empêcher la collaboration des savants avec les révolutionnaires, de quelque nuance politique qu’ils soient. Imaginons des contestataires qui, au lieu de plastique/ la porte des immeubles, feraient exploser, grâce au procédé Filippov, l’Elysée ou Matignon! , L’invention de Filippov, que son emploi soit militaire ou révolutionnaire, me paraît être du nombre de celles qui peuvent anéantir totalement une civilisation. Les ‘découvertes de cet ordre doivent être isolées.

Et pourtant, elles peuvent également avoir des applications pacifiques. Gorki a publié un entretien qu’il avait eu avec Filippov, et ce qui frappait essentiellement l’écrivain, c’était la possibilité de transmettre de l’énergie à distance et d’industrialiser ainsi très vite les pays qui en ont besoin. Mais il ne parle pas du tout d’une application militaire. Glenn Seaborg, président de la commission américaine de l’énergie atomique, a évoqué l’année dernière des possibilités analogues: une énergie qui viendrait du ciel sur un faisceau d’ondes et qui permettrait d’industrialiser quasi instantanément un pays en voie de développement, ceci sans créer aucune pollution. Lui non plus ne parle pas des applications militaires, mais sans doute c’est qu’il n’en a pas le droit.

L’extraordinaire personnalité de Filippov commence à intéresser chaque jour davantage le public soviétique et les écrivains. Le grand poète Léonid Martinov, lui a récemment consacré un poème intitulé La ballade de Saint-Pétersbourg.

Des faits nouveaux apparaissent constamment. L’un d’eux, établi en 1969, a détruit une légende pourtant bien belle.

Dans la Revue de la science apparaissaient des comptes rendus de livres signés V. Oui, et l’on pensait que cette signature indiquait Vladimir Oulianov, c’est-à-dire Lénine lui-même. Il aurait été intéressant d’établir ainsi une liaison directe entre Lénine et Filippov.

Malheureusement, la recherche moderne a montré que ces comptes rendus étaient le fait d’un certain V. D. Oulrich. C’est dommage, on aurait bien aimé compter Lénine parmi les collaborateurs de la revue.

Mais Lénine connaissait à fond l’oeuvre de Filippov qui l’a certainement beaucoup influencé. Le célèbre passage de Matérialisme et empiriocriticisme sur le caractère inépuisable de l’électron reprend, directement un travail de Filippov.

Filippov était à l’évidence à la fois un savant ésireux de publier et un révolutionnaire. Comme nous ‘indiquions plus haut, sa découverte sur la transmission de l’énergie de l’explosion devait constituer sa 301e publication, il l’aurait certainement révélée, sans se rendre compte qu’il allait ainsi détruire le monde.

Car penser, comme il semblait le faire, que les peuples munis de l’arme qu’il leur donnait, allaient balayer les rois et les tyrans et, grâce au marxisme, établir la paix universelle, paraît assez naïf. Nous sommes actuellement menacés d’une guerre entre les deux plus grands pays marxistes, l’URSS et la Chine.

Si tous deux disposent d’une bombe H transportée par fusée, les dégâts seront considérables. S’ils réinventent tous deux le dispositif Filippov, ils se détruiront mutuellement. Or, le pas n’est pas énorme entre la bombe à argon et le dispositif Filippov.

C’est pourquoi il faut espérer que le conflit URSS – Chine, que certains considèrent pourtant comme inévitable, n’aura pas lieu.

Mais le problème de l’application des sciences et des techniques à la guerre demeure entier. La plupart des congrès scientifiques en arrivent de plus en plus souvent à la conclusion qu’il faut étouffer certaines découvertes et plus ou moins revenir à l’attitude des anciens alchimistes; sinon le monde périra.

Ce n’est pas la justification des idées des Hommes en noir, mais l’indication d’un problème qui existe.

Fred Hoyle, attaquant le problème sous un autre angle, écrit dans Des hommes et des galaxies (Buchet Chastel) : « Je suis persuadé qu’il est possible d’écrire cinq lignes et pas plus qui détruiraient la civilisation. »

Hoyle est certainement aujourd’hui l’homme le mieux informé de la planète en ce qui concerne la science moderne, et ce qu’elle peut arriver à faire.

L’affaire Filippov me paraît donc constituer une nouvelle phase, importante, de l’histoire des livres maudits.

Au lieu de remonter à un très ancien savoir, le manuscrit Filippov donnait la clé de découvertes très modernes basées sur l’expérience et aussi sur les théories générales de Marx. Filippov était un esprit tout à fait encyclopédique, qui savait sans doute tout ce qu’on pouvait savoir sur les sciences en 1903. C’est pour cela qu’il a fait sa découverte, découverte qui entraîna sa mort.

On peut se demander si d’autres découvertes analogues n’ont pas été, à bon escient, dissimulées et détruites, i Le président Richard Nixon a récemment ordonné la destruction de tous les stocks d’armes bactériologiques fondées sur l’utilisation des microbes et des virus. A-t-il également ordonné qu’on détruise les archives dans ce domaine? Rien n’est moins sûr, et il se trouvera peut-être un jour un savant américain qui choisira la liberté et qui décrira ses travaux, permettant ainsi de fabriquer ce que Sir Richie Calder a baptisé « le microbe du jugement dernier ».

Il faut reconnaître que ceux qui détruiraient ce manuscrit seraient des bienfaiteurs de l’humanité.

On s’est beaucoup moqué du secret militaire. Il est parfois ridicule, mais parfois aussi il peut empêcher la divulgation d’armes extrêmement dangereuses.

De même, il est évident que les secrets alchimiques ne doivent pas être répandus. Si l’on peut fabriquer une bombe à hydrogène sur un fourneau à gaz, ce que je crois possible personnellement, il est préférable que le procédé de fabrication ne soit pas rendu public.

Car il est très bien de vivre dans une période de contestation à condition que les dégâts que peut faire cette contestation soient limités. Si chaque groupe, ou chaque petit pays contestataire, peut, pour protester, détruire Paris et New York, la civilisation ne durera pas longtemps.

Car, n’oublions pas que de nos jours n’importe qui peut, avec des investissements minimes, se constituer un laboratoire que Curie ou Pasteur auraient envié. Des gens fabriquent déjà chez eux du LSD, ou de la phénylcyclidine, drogue encore beaucoup plus dangereuse.

Si quelqu’un, aujourd’hui, connaissait le secret de Filippov, il pourrait certainement trouver dans le commerce toutes les pièces détachées nécessaires pour construire l’appareil et, sans aucun risque personnel, faire sauter à plusieurs kilomètres de distance des gens qui lui déplaisaient.

Personnellement, j’ai aussi ma liste de gens qui me déplaisent et d’édifices que je trouve hideux, et que j’aimerais bien éliminer. Mais si tout le monde peut parvenir à ce résultat avec du plastic vole dans des chantiers de construction et un projecteur Filippov bricolé, nous aurons du mal à survivre.

Il existe, dit-on, des listes d’inventions trop dangereuses. L’une d’entre elles, établie par des militaires français, n’en comprendrait pas moins de 805.

Si quelqu’un rédige un texte qui les expose toutes et le publie, il aura battu le record des livres maudits.

On peut imaginer aussi un manuscrit à la Fred Hoyle, qui ne contiendrait pas des inventions dangereuses, mais des idées dangereuses, de ces « phrases de cinq lignes » qui peuvent changer le monde.

Si quelqu’un rédige ce manuscrit, il pourra le dédier à la mémoire de Mikhaïl Mikhaïlovitch Filippov.

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