20 février 2012

Définancialisation, Démondialisation, Relocalisation

1. Bonjour. Le titre de cet exposé est un peu long, mais ce que je veux dire peut se résumer en termes simples :
On doit tous se préparer à une vie sans beaucoup d’argent, où les produits importés sont rares et où les gens doivent subvenir à leurs propres besoins et ceux de leurs voisins immédiats. Je prendrai pour point de départ l’évolution de l’effondrement de l’économie mondiale, et vais discuter de ce qui pourrait survenir. Cela a commencé avec l’effondrement des marchés financiers l’an dernier, et il en résulte maintenant une diminution du volume du commerce international sans précédent. Ces évolutions ont aussi commencé à affecter la stabilité politique des différents pays à travers le monde. Quelques gouvernements se sont déjà effondrés, d’autres suivent peut-être le même chemin, et il ne faudra plus attendre longtemps avant que nos cartes soient redessinées radicalement.

2. «Développement Durable» - résumé en un mot ?

En un mot, c’est non-durable. Alors qu’est-ce que cela signifie exactement ? Chris Clugston a récemment publié un résumé de son analyse de ce qu’il appelle «la société en sur-extension» sur le site The Oil Drum. Voici un condensé de son résumé, en chiffres ronds. Je ne veux pas jouer avec son calcul, parce que c’est la culture qui sous-tend les hypothèses que je trouve intéressantes. L’idée est que si on diminue notre empreinte écologique d’un ordre de grandeur ou plus, cela rendrait l’ensemble de l’arrangement durable, une fois de plus. C’est exprimé en termes financiers : on réduit ici le PIB des États-Unis de, par exemple, 100 000 $ par habitant et par an, à, par exemple, 10 000 $. Clugston établit une distinction entre cette réduction volontaire ou involontaire : on doit se faciliter la vie et y venir doucement, afin que personne ne soit laissé pour compte. Je trouve l’idée que les Américains réduisent volontairement leur PIB d’un facteur de 10, plutôt farfelue. On garde le même système, il suffit de fermer les 9/10 de celui-ci ? Ne serait-ce pas alors un système totalement différent ? Ce type de développement durable semble plutôt insupportable pour moi.

3. Mon plan

Je tiens à offrir une alternative plus réaliste. Tout le monde devrait garder un dollar américain à but purement didactique. De cette façon, tous les Américains seront en mesure de montrer leur billet de un dollar à leurs petits-enfants, et leur dire : «Essayez de vous imaginer, ce vilain bout de papier était autrefois appelé Le Dollar Tout-Puissant !» Et leurs petits-enfants penseront sans doute qu’ils sont un peu fous, mais ils le penseraient sans doute de toute façon. Mais il ne serait pas utile pour eux de disposer de plusieurs boîtes à chaussures pleines de dollars, car alors leurs petits-enfants penseraient qu’ils sont tout à fait séniles, car aucune personne sensée ne stockerait de tels déchets.

4. Une alternative désagréable

Clugston offre une alternative à la grande baisse du PIB : une baisse proportionnelle de la population. Dans ce scénario, neuf personnes sur dix meurent pour que les 10% restants puissent continuer à vivre confortablement avec 100 000 $ par an. J’ai été heureux de constater que Chris n’a pas fait la distinction entre volontaires ou involontaires dans cette partie de l’analyse, car je pense que cela aurait été d’un goût douteux. Je n’ai que trois choses à dire sur ce scénario.
Tout d’abord, l’humain n’est pas un cas particulier pour ce qui est de subir l’explosion démographique et l’extinction, et l’idée que la population humaine devrait augmenter régulièrement à l’infini est tout aussi absurde que l’idée de la croissance économique infinie sur une planète finie. La croissance exponentielle de la population humaine a suivi en parallèle la consommation accrue d’énergie fossile, et j’attends toujours un argument de poids expliquant pourquoi la population ne diminuerait pas avec ces énergies.
Deuxièmement, même si cela paraît choquant, on peut constater que la plupart des sociétés peuvent endurer une augmentation soudaine de la mortalité sans faire trop de bruit. Il y a eu une énorme hausse de la mortalité en Russie après l’effondrement soviétique, mais on ne le remarquait pas directement en dehors des morgues et crématoriums. Après quelques années, ceux qui regardaient une vieille photographie de classe réalisaient que la moitié des gens étaient morts ! Quand il s’agit de la mort, la plupart des gens prennent la chose sur eux-mêmes facilement et tranquillement. Le plus douloureux est de s’apercevoir qu’une telle chose se produit autour de vous.
Troisièmement, tout cet exercice budgétaire pour calculer combien de personnes on peut se permettre de laisser en vie est un bon moyen de montrer combien nous sommes devenus des monstres, avec notre dépendance à l’égard des statistiques et des abstractions numériques. La rupture entre les mots et les actions sur la question de la population est maintenant presque totale. La population est bien au-delà du contrôle de toute personne, et cette manière d’y penser nous mène dans la mauvaise voie. Si on ne pouvait pas contrôler à la hausse, pourquoi imaginer qu’on serait en mesure de contrôler à la baisse ? Si nos projections paraissent assez choquantes, alors on pourrait s’hypnotiser en pensant que le maintien de nos systèmes artificiels d’aide à la vie humaine à tout prix est plus important que l’examen de son effet sur le monde naturel. La question «Combien vont survivre ?» ne demande tout simplement pas qu’on y réponde.

5. Que se passe-t-il réellement ?

Revenons à ce qui se passe maintenant. Il semble y avoir un large éventail d’opinions sur la façon de le qualifier, de la récession à la dépression à l’effondrement. La presse a récemment propagé quantités d’histoires de «jeunes pousses», «signes de reprise» et les économistes discutent de la date exacte de la reprise économique. Le courant dominant va de «plus tard cette année» à «l’année prochaine.» Aucun d’entre eux n’ose dire que la croissance économique mondiale pourrait s’arrêter pour de bon, ou qu’elle le serait dans un «avenir pas trop lointain» - un terme vague qui semble très en vogue.
Il semble bien qu’il se forme un consensus pour dire que la crise financière de l’an dernier a été précipitée par la flambée des prix du pétrole l’été dernier, lorsque le pétrole a brièvement atteint 147$ le baril. Pourquoi cela s’est produit semble assez évident. Comme la plupart des choses dans une économie entièrement développée, industrialisée fonctionne avec du pétrole, son achat n’est pas une option : pour un niveau donné de l’activité économique, il faut consommer une certaine quantité de pétrole, et en payer le prix tout simplement, tant que l’accès au crédit est possible, mais quand le crédit disparaît c’est soudainement la fin du jeu. François Cellier a récemment publié une analyse dans laquelle il montre que, à environ 600$ le baril, l’ensemble du PIB serait nécessaire pour payer l’énergie, ce qui ne laisserait plus d’argent à investir dans toute autre d’utilisation intéressante. A ce niveau de prix, on ne peut même pas se permettre d’en prendre livraison. En fait, à ce niveau de prix, on n’a même pas les moyens de le pomper hors du sol, car les extracteurs, sondeurs et travailleurs qui font fonctionner le puits de pétrole ne boivent pas du pétrole, et les budgets seraient vides même pour de la bière.
Et donc, la limite de prix, au-delà de laquelle aucune activité économique n’est possible, est certainement beaucoup plus basse, et l’été dernier, il semble qu’on a déterminé expérimentalement qu’elle se situe vers 150$ le baril, ce qui correspond à 6% du PIB mondial. On pourrait ne jamais tomber à court de pétrole, mais on est déjà arrivé à court d’argent permettant de l’acheter, au moins une fois, et très probablement cela se produira encore et encore, jusqu’à ce qu’on apprenne la leçon. On va aussi manquer d’argent pour l’extraire du sol. Il reste peut-être encore quelques nappes, et il restera un petit peu de pétrole pour produire des bijoux exotiques en plastique pour riches. Mais il n’en restera pas assez pour approvisionner la base industrielle, et ainsi l’ère industrielle prendra fin de fait, sauf pour certains résidus de panneaux solaires, d’éoliennes et d’installations hydroélectriques.
Je pense que la leçon à tirer de tout ceci, c’est qu’on doit se préparer à un avenir non-industriel alors qu’il reste encore des ressources pour assurer la transition. Si on mobilise les ressources, stocke les matériaux qui seront les plus utiles, et exploite les technologies héritées du passé qui peuvent être maintenues sans une base industrielle, alors on peut prolonger la transition loin dans l’avenir, en se donnant le temps de s’adapter.

6. Les points clés

Je sais que je cours le risque de surestimer ces points et simplifier la situation à outrance, mais il est parfois utile de ne pas tenir compte des complexités pour faire avancer le débat. En gros, je crois que ces points sont bien réels.
  1. Le PIB mondial est fonction de la consommation de pétrole. Comme la production de pétrole baisse, ainsi en sera-t-il du PIB mondial. À un certain point, le manque d’investissement dans la production de pétrole va conduire la production bien en deçà de ce qui pourrait être possible si l’épuisement était le seul facteur limitant. L’efficacité, la conservation, les sources d’énergie renouvelables pourraient toutes avoir un certain effet, mais cela ne va pas modifier de façon matérielle cette relation. Moins de pétrole signifie une économie mondiale réduite. Pas de pétrole, une économie mondiale extrêmement réduite, pas digne de ce nom.
  2. On a eu la chance d’observer que les économies s’effondrent lorsque les dépenses de pétrole approchent les 6% du PIB mondial. Les tentatives de redressement économique vont provoquer des hausses du prix du pétrole qui vont crever ce plafond. Ces hausses seront suivies par de nouveaux krachs financiers et d’autres chutes de l’activité économique. Après chaque krach, le niveau maximal de l’activité économique nécessaire pour déclencher le prochain krach sera inférieur.
  3. Les actifs financiers ne sont utiles que si on peut les utiliser pour garantir une quantité suffisante de pétrole afin de maintenir l’économie en activité. Ils représentent la capacité de produire un certain travail et, puisque dans une société industrielle le travail est effectué par des machines industrielles qui fonctionnent avec du pétrole, moins de pétrole, c’est moins de travail. Les actifs financiers qui ont pour contrepartie la capacité industrielle exigent que la capacité industrielle soit maintenue en état de fonctionnement. Une fois qu’on ne peut plus satisfaire aux besoins d’entretien de l’infrastructure industrielle, elle se décompose rapidement et devient inutile. Dans une large mesure, la fin du pétrole signifie la fin de l’argent.
Maintenant que la réalité du Pic Pétrolier a commencé à poindre, on entend couramment que «L’âge du pétrole bon marché est terminé». Mais cela veut-il dire qu’on arrive à l’âge du pétrole cher ? Pas nécessairement. On sait maintenant (ou on devrait le savoir à présent), qu’une fois que les dépenses de pétrole atteignent 6% du PIB mondial, l’économie industrielle mondiale ralentit, et dès que cela se produit, le pétrole cesse d’être particulièrement précieux, si bien que le développement et la maintenance des capacités de production de pétrole sont limités. La prochaine fois que l’industrie tentera de refaire surface (si jamais cela se produit) elle heurtera le mur bien plus tôt et s’arrêtra à nouveau. Je doute qu’il faille plus que quelques cycles de ces coups de fouet aux marchés pour que tous les participants réalisent qu’ils ne peuvent pas obtenir suffisamment de pétrole, peu importe le prix payé, et que personne ne veut de leur argent même en échange du pétrole restant. Ceux qui en ont encore le considéreront trop précieux pour l’échanger simplement contre de l’argent. D’autre part, si les ressources énergétiques nécessaires à l’exploitation d’une économie industrielle ne sont plus disponibles, le pétrole devient un déchet toxique. En tout cas, il n’est plus question d’argent, mais d’accès direct aux ressources.

7. Une série d’objectifs raisonnables

Maintenant, je m’attends à ce que beaucoup de gens trouvent cette vision trop sombre et se sentent découragés. Mais je pense que c’est tout à fait compatible avec une vision positive de l’avenir, alors permettez-moi d’essayer de l’articuler.
Tout d’abord, on a un certain contrôle. Bien qu’on ne doive pas mettre trop d’espoir dans la civilisation industrielle dans son ensemble, il y a certainement quelques bribes qu’il convient de sauver. Les actifs financiers peuvent ne pas tenir longtemps dans ce monde, mais en attendant, on peut les redéployer à bon escient pour le long terme.
Deuxièmement, on peut prendre des mesures pour se donner le temps de s’y adapter. En sachant à quoi s’attendre, on peut se préparer à le surmonter. On peut imaginer quelles options seront fermées en premier, et créer des alternatives, de sorte qu’on ne tombe pas à court d’options.
Enfin, on peut se concentrer sur ce qui est important : la préservation d’une écosphère dynamique qui prend en compte la diversité de la vie, y compris notre propre descendance. Je ne peux imaginer que peu d’options à court terme devant l’emporter sur ce point - c’est notre première priorité.

8. Gestion des risques financiers

Il faudra un certain temps pour comprendre et assimiler tout cela. En attendant, on déclarera sans aucun doute qu’on a une crise financière sur le dos. On doit faire quelque chose pour sauver les banques, traiter les actifs toxiques, soutenir le crédit et ainsi de suite. Certains diront que tout cela a pour origine une erreur dans la modélisation financière, et que si on re-réglemente le secteur financier, cette situation ne se reproduira plus. Donc, pour le bien de l’argument, jetons un oeil là-dessus.
La gestion financière n’est certainement pas ma spécialité, mais, d’après ce que je comprends, cela porte surtout sur l’évaluation des risques. Et pour ce faire, les gestionnaires financiers font certaines hypothèses sur les phénomènes qu’ils cherchent à modéliser. Une hypothèse est que l’avenir ressemblera au passé. Une autre est que les divers événements négatifs sont répartis au hasard. Par exemple, si vous vendez une assurance-vie, vous avez la certitude que les gens vont mourir sur base du fait qu’ils sont nés, et vous pouvez être raisonnablement certains qu’ils ne meurent pas tous à la fois. L'instant où quelqu’un meurt est imprévisible, le moment où les gens meurent en général est aléatoire, la plupart du temps. Et voici donc le problème : le monde est imprévisible, mais on peut considérer les classes de petits événements comme aléatoires, jusqu’à ce qu’un événement plus grand survienne. Cela peut sembler un point obscur, je vais tenter d’expliquer la différence de manière graphique.

9. Ceci est (pseudo) aléatoire

Voici une collection aléatoire de points multicolores. En fait, c’est pseudo-aléatoire, car c’est généré par un ordinateur, et les ordinateurs sont des créatures déterministes incapables de vrai hasard. Une source réellement aléatoire est difficile à trouver. Même de très bons générateurs de bruit aléatoire peuvent produire des artefacts d’ordre supérieur. Les petits événements sont fréquents et on peut donc les considérer comme aléatoire; les grands événements sont moins fréquents et assez imprévisibles; et certains des plus grands événements mettent fin à la carrière des statisticiens qui tentent de les modéliser, et ainsi on ne sait jamais s’ils sont aléatoires ou non. Pour un profane, c’est assez aléatoire, mais à la longue il n’y a plus de hasard et on approche du non-aléatoire.

10. Ceci n’est pas aléatoire, mais prévisible

Comme ceci. Maintenant, ce n’est pas aléatoire, même pour un profane. C’est comme les dépenses de pétrole montant à 6% du PIB mondial. Ce n’était certainement pas le fruit du hasard. Mais était-ce imprévisible ? Le prix du pétrole a augmenté de plus en plus les dernières années, et les prix élevés n’ont pas provoqué beaucoup d’augmentation de l’offre, en dépit d’une hausse record du taux de forage, de l’investissement dans l’éthanol, les sables bitumineux, et ainsi de suite. Quelques bons modèles géologiques prédisent avec précision le profil de l’épuisement du pétrole pour des zones distinctes, ainsi que pour l’ensemble, avec une forte probabilité de réussite. Donc, ce n’est certainement pas le fruit du hasard, et ce n’est pas du tout imprévisible. Donc, à un niveau plus élevé, quel modèle mathématique faut-il utiliser pour modéliser avec précision l’aveuglement et l’incompréhension du monde financier et politique et des autres dirigeants et commentateurs, encore même à l’heure actuelle ? A-t-on vraiment besoin de le faire, ou faudrait-il attendre que ce beau mur de briques le fasse pour nous ? Parce que, vous le savez, les murs en briques ont beaucoup à enseigner aux gens qui refusent de reconnaître leur existence, et les murs sont très patients pour répéter la leçon aux élèves qui ne l’ont toujours pas comprise. Je suis sûr que la leçon sera apprise à la longue, mais je me demande combien de fois il faudra heurter ce mur de plein fouet avant que tout le monde ne comprenne.

11. Son modèle fonctionne généralement

Celui qui devrait se heurter au mur de briques est cet homme, Myron Scholes, le prix Nobel d'économie, co-auteur de la méthode Black-Scholes de fixation des prix des produits dérivés, l’homme derrière le krach du Long Term Capital Management. Il est l’inspiration de la plus grande partie de la débâcle financière actuelle. Récemment, il a dit : «La plupart du temps, votre gestion des risques fonctionne. Pour un événement systémique tel que les chocs récents suite à la faillite de Lehman Brothers, de toute évidence, d’après les faits, le système de gestion des risques de toute banque s’avère être incomplet.» Maintenant, imaginez un ingénieur disant quelque chose du genre : «La plupart du temps, notre analyse structurelle fonctionne, mais s’il y a une forte rafale de vent, alors, pour toute structure, elle est incomplète.» Ou un ingénieur nucléaire : «Nos calculs de la puissance de l’enveloppe de confinement du réacteur nucléaire fonctionne très bien la plupart du temps. Bien entendu, s’il y a un tremblement de terre, toute enveloppe de confinement pourrait être détruite.» Dans ces autres disciplines, si vous ne connaissez pas la réponse, alors cela ne vaut pas la peine de présenter son travail, car quel serait l’intérêt ?

12. On aime leurs mensonges

L’intérêt ne serait certainement pas de rassurer la population, promouvoir la confiance du public dans les ponts, les bâtiments et les réacteurs nucléaires. Mais l’économie et la finance sont différents. L’économie n’est pas directement mortelle, et les économistes n’ont jamais été en prison pour négligence criminelle ou incompétence flagrante, même si leurs théories échouent. La finance porte sur les promesses qu’on se fait les uns aux autres, et à nous-mêmes. Et si les promesses se révèlent irréalistes, alors l’économie et la finance se révèlent être des mensonges qu’on se dit les uns les autres. On veut continuer à croire ces mensonges, car on perd la face si on ne le fait pas, et les économistes sont là pour nous aider. On continue à écouter les économistes, parce qu’on aime leurs mensonges. Oui, bien sûr, l’économie se rétablira plus tard cette année, peut-être l’année prochaine. Oui, dès que l’économie redémarre, l’ensemble de ces actifs toxiques auront à nouveau de la valeur. Oui, il s’agit juste d’un problème financier, on a juste besoin de renforcer le système financier en injectant des fonds des contribuables. Ce sont tous des mensonges, mais qui nous font du bien. Ils mentent, et on boit chaque parole.

13. Les moyens les plus rapides de perdre tout son argent (et ne rien avoir d'utile)

Faisons y face, ces moments sont difficiles pour ceux d’entre nous qui ont beaucoup d’argent. Que peut-on faire ? On peut le confier à une institution financière. Cela tend à mal tourner. Beaucoup de gens aux États-Unis ont confié leur épargne-retraite à des institutions financières. Et maintenant, on dit qu’ils ne peuvent retirer leur argent. Tout ce qu’ils peuvent faire, c’est ouvrir une lettre une fois par mois, voir leur épargne diminuer.
On peut aussi investir dans une partie de l’économie mondiale. Je connais certaines usines automobiles que vous pouvez acheter. Elles sont tout à fait abordables pour le moment. Un grand nombre de retraités travailleurs de l’automobile ont mis toutes leurs économies de retraite en actions de General Motors. Peut-être savent-ils quelque chose que nous ne savons pas ? (En fait, cela fait partie d’une fraude perpétrée par l’administration Obama, pour rembourser leurs amis banquiers avant les autres créanciers de GM.)
Eh bien, pourquoi pas un joli lingot l’or ou deux ? Un sac de diamants ? Certaines voitures de collection ? Ensuite, vous pourriez commencer votre propre musée des transports. Pourquoi pas un yacht de luxe classique superbement restauré ? Ensuite, vous pouvez utiliser les lingots d’or comme lest si vous décidez d’en finir en sautant par-dessus bord.
Voici une autre idée géniale : acheter des produits écologiques. Quelle que soit le produit vert que le marketing et les annonceurs vous jettent à la figure, achetez-le, jetez-le, et achetez-en un autre tout de suite. Répétez jusqu’à ce qu’ils soient à court de produits, vous êtes à court d’argent, et les décharges sont pleines de déchets verts. Cela devrait stimuler l’économie. Les études de marché montrent qu’un grand stock d’éco-culpabilité refoulée peut être exploité par les commerçants et annonceurs. Les produits industriels qui contribuent à l’environnement sont un peu un oxymore. C’est un peu comme essayer d'écoper le Titanic avec une petite cuillère.
Un autre grand débouché du moment sont les marchandises de survie. Il y a quelques sites qui proposent toutes sortes de fournitures à mettre dans votre bunker. C’est de la manipulation un peu habile, en fait. Les utilisateurs se connectent, voient que la bourse est en baisse, le pétrole en hausse, des fusils de chasse en vente, ainsi que des couteaux de chasse, et si vous ajoutez à votre panier le livre «Survivre à la débâcle financière», vous bénéficiez de la livraison gratuite. Oh, et n’oubliez pas d’y ajouter un gros paquet de haricots secs. La peur est un grand facteur de motivation, et amener les gens à acheter des biens de survie est presque un réflexe conditionné du marché, un rêve de publicitaire.
Si vous voulez aider à sauver l’environnement et vous préparer à une vie sans accès à des biens de consommation, alors cela ne semble pas une bonne idée d’acheter des biens de consommation. Mieux vaudrait ne RIEN ACHETER. Mais vous ne pouvez le faire avec de l’argent. Par contre, il y a mieux à faire avec l’argent pour le moment, si on se dépêche.

14. Comment perdre tout son argent (mais avoir quelque chose d'utile)

La plupart de la richesse est dans très peu de mains privées à présent. Les gouvernements et la grande majorité de la population ont seulement des dettes. Il est important de convaincre les gens qui contrôlent toute cette richesse qu’ils ont vraiment le choix entre deux options. Ils peuvent faire confiance à leur conseillers financiers, gérer leurs portefeuilles, et finalement tout perdre. Ou ils peuvent utiliser leur richesse pour se réengager avec des gens et de la terre dans des voies nouvelles, dans ce cas, ils ont une chance de sauver quelque chose pour eux-mêmes et leurs enfants. Ils peuvent construire et lancer des canots de sauvetage, recruter l’équipage, et les faire naviguer.
Ceux qui possèdent un lot d’actifs industriels peuvent céder ces actifs avant qu’ils ne perdent de la valeur et investir dans le foncier, dans le but de les préserver, de les améliorer au fil du temps et de les utiliser de manière durable. Comme il sera difficile d’obtenir ce que vous désirez tout simplement avec de l’argent, c’est une bonne idée de prévoir de mettre en place des alternatives, de mettre des ressources, telles que les terres agricoles, à la disposition de ceux qui peuvent les mettre à profit, pour leur propre bénéfice ainsi que le vôtre. Cela a également un sens de mettre en place des stocks de denrées non périssables, des matériaux qui gardent leur utilité au travers du temps. Mon exemple préféré sont les clous en bronze. Ils durent plus de cent ans dans l’eau salée, et ils sont donc parfaits pour la construction de bateaux. La fabrication de clous en bronze est en fait un bon usage des combustibles fossiles restants - meilleur que la plupart des autres usages. Ils sont compacts et faciles à stocker.
Enfin, il semble logique de travailler à orchestrer une démolition contrôlée de l’économie mondiale. Cela demande de nouvelles compétences financières : celles d’un conseiller en désinvestissement. La première étape est une sorte de triage; on peut marquer certaines parties de l’économie à «ne pas réanimer» et réaffecter les ressources à une meilleure tâche. Un bon exemple d’une industrie qu‘il ne vaut pas la peine de ressusciter est l’industrie automobile, on n’a tout simplement pas besoin de plus de voitures. Celles qu’on a déjà feront très bien l’affaire pour autant qu’on en ait besoin. Un bon exemple d’un secteur à sauvegarder et certainement utile est la santé publique, en particulier la prévention et la lutte contre les maladies infectieuses. Pour toutes ces mesures, il est important de désinvestir des lieux géographiquement éloignés et d’investir localement. C’est peut être inefficace du point de vue financier, mais très efficace du point de vue de l’auto-protection personnelle et sociale.

15. Au-delà de la finance : Maîtriser d’autres types de risques

Pour revenir un instant sur les pauvres banquiers et économistes, il semble assez hypocrite pour nous de traiter l’économie et la finance comme un cas particulier de personnes qui génèrent beaucoup de risques absolus. Connaît-on des exemples de risques qu’on a bien compris et contre lesquels on s’est prémuni à temps ? Y a t-il vraiment des problèmes systémiques sérieux qu’on a été en mesure de résoudre ? ... Le mieux qu’on semble pouvoir faire, c’est de gagner du temps. En fait, il semble que ce soit ce pourquoi on excelle - remettre à plus tard l’inévitable par un travail assidu et acharné. Aucun de nous ne veut agir précipitamment sur base de notre compréhension de ce qui se produira finalement, parce que cela peut ne pas se produire encore pendant un certain temps. Et pourquoi vouloir faire tanguer le navire en attendant ? Le seul risque qu’on semble incapable d’atténuer est le risque de ne pas trouver sa place dans le milieu économique, social et culturel. Et que nous arrive-t-il, si l’ensemble de notre milieu tangue finalement à l’extrême ? Eh bien, la façon dont nous le planifions est de ne pas y penser.

16. Le plus grand de tous les risques

Le plus grand de tous les risques, à mon avis, c’est que l’économie industrielle agonise pendant quelques années encore, peut-être même une décennie ou plus, en laissant une dévastation environnementale et sociale sur son passage. Une fois qu’elle rendra enfin l’âme, elle ne laissera rien derrière elle pour permettre de repartir sur d’autres voies. Pour atténuer ce risque, nous devons concevoir des alternatives, à petite échelle, qui ne perpétuent pas ce système et qui peut fonctionner sans lui.
L’idée de perpétuer le statu quo par d’autres moyens est omniprésente, parce que beaucoup de personnes au pouvoir et d’autorités souhaitent préserver leurs positions. Et à peu près toutes les propositions que nous voyons visent à éviter l’effondrement au lieu de se concentrer sur ce qui vient après. Un premier exemple est l’incitation au développement d’énergies alternatives. Beaucoup de ces solutions ne sont en fait que des amplificateurs de combustibles fossiles et non des sources d'énergies autonomes, sans matières premières : il leur faut absolument une source d’énergie fossile. De plus, beaucoup d’entre elles nécessitent une base industrielle intacte, qui fonctionne avec des combustibles fossiles. Une rumeur se répand que ces alternatives ne sont pas déjà opérationnelles pour d’infâmes raisons : malversations de la part des compagnies pétrolières cupides et ainsi de suite. La vérité est que ces solutions de rechange ne sont pas aussi performantes, physiquement ou économiquement, que les combustibles fossiles. Voilà le vrai point à méditer : Si on n’a plus les moyens d’acheter du pétrole ou du gaz naturel, pourquoi penser qu’on peut envisager des alternatives moins puissantes et plus coûteuses ? Et voici une question : Si on n'a plus les moyens pour investir dans l’infrastructure nécessaire à l’extraction du reste de pétrole et de gaz naturel, pourquoi penser qu’on va trouver l’argent pour développer les alternatives au moins bon rapport coût-performance ?

17. Combien de temps reste-t-il ?

Ce serait excellent si plus de gens réalisaient cela, et commençaient à organiser mieux leur vie de façon un peu plus durable. Mais l’inertie sociale est très grande, et le processus d’adaptation prend du temps. Et la question est, reste-il assez de temps pour qu’un grand nombre de personnes puissent le réaliser et s’y adapter, ou devra-t-on endurer beaucoup d’inconfort ?
Je crois que les gens qui commencent le processus maintenant ont une assez bonne chance de faire la transition à temps. Mais je ne pense pas qu’il est bien sage d’attendre et d’essayer de prolonger une vie confortable quelques années de plus. Non seulement ce serait une perte de temps sur le plan personnel, mais se serait un gaspillage de ressources dont on a besoin pour faire la transition.
Je concède que le choix est difficile : ou bien on attend que les circonstances nous forcent à changer, au point qu’il sera trop tard pour faire quoi que ce soit, ou on s’y prépare à l’avance. Si on pose la question, combien de personnes sont susceptibles de faire la transition ? - Alors, on pose une mauvaise question. La question pertinente est : Va-t-on s’y adapter tout seul ? Et je pense que la réponse est, probablement pas, car il y a peu de personnes qui pensent ainsi.

18. C’est toujours personnel

Je pense qu’il est très important de réaliser l’immense force qu’est l’inertie sociale. J’ai constaté que de nombreuses personnes sont presque génétiquement prédisposées à ne pas vouloir comprendre ce que j’ai dit, et beaucoup d’autres le comprennent à un certain niveau, mais refusent d’agir en conséquence. Quand elles sont touchées par l’effondrement, elles le prennent personnellement ou le voient comme une question de malchance. Elles considèrent ceux qui se préparent à l’effondrement comme des excentriques; certaines peuvent même les considérer comme de dangereux subversifs. C’est d’autant plus probable pour ceux en position de pouvoir et d’autorité, car ils ne vont justement pas encourager la perspective d’un avenir où ils n’ont pas leur place.
Il y a un certain nombre de personnalités qui sont les plus susceptibles de survivre à l’effondrement sans dommages physiques ou psychologiques, et de s’adapter aux nouvelles circonstances. J’ai été en mesure de repérer certains traits communs dans les rapports de recherche des survivants d’un naufrage et d’autres calamités. Une certaine indifférence ou détachement est certainement utile, y compris l’indifférence à la souffrance. Peut-être la caractéristique la plus importante d’un survivant, plus importante que les compétences ou la préparation ou même la chance, c’est la volonté de survivre. Vient ensuite l’auto-suffisance : l’aptitude à persévérer en dépit du manque de soutien des autres. La fin de liste est déraisonnable : la simple incapacité obstinée de capituler face à des circonstances apparemment insurmontables, aux opinions contraires de ses camarades, ou même à la force.
Ceux qui ressentent le besoin de regrouper, accueillir, faire des compromis et rechercher un consensus, ont besoin de comprendre l’incroyable force d’inertie sociale. Il s’agit d’une masse inébranlable, écrasante. «Nous devons prendre en compte les intérêts de la société dans son ensemble». Traduit, cela signifie que «Nous devons faire en sorte de rester entravés par le refus ou l'incapacité des gens de faire des changements drastiques mais nécessaires ; de changer leur nature.» Le faut-il, vraiment ?
Il y a deux composantes à la nature humaine, la sociale et l’individuelle. L’individuelle est certainement la plus évoluée, et l’humanité a progressé grâce aux efforts de brillants génies solitaires et excentriques. Leurs noms sont toujours connus, précisément parce que la société n’a pas été capable d’éteindre leur éclat ou de contrecarrer leur initiative. Nos instincts sociaux sont ataviques et provoquent bien trop souvent la médiocrité et le conformisme. Nous avons évolué pour vivre en petits groupes de quelques familles, et nos expériences récentes qui ont été au-delà semblent se fonder sur les instincts grégaires qui ne sont peut-être pas spécifiquement humains. Face à l’inconnu, nous avons tendance à la panique et la débandade, et dans ces cas, les gens sont régulièrement piétinés et écrasés : un sommet de l’évolution, en effet ! Ainsi, en construisant un avenir viable, où mettre l’accent : sur les individus et les petits groupes, ou sur de plus grandes entités - des régions, des nations, l’humanité dans son ensemble ? Je crois que la réponse est évidente.

19. «Effondrement» ou «Transition» ?

C’est plutôt difficile pour la plupart des gens de prendre des mesures importantes, même individuellement. C’est encore plus difficile à faire pour un couple. Je connais beaucoup de cas où une personne comprend la situation et est prête à apporter des changements majeurs dans l’organisation de vie, mais le partenaire ou le conjoint n’est pas réceptif. Si elles ont des enfants, alors cela multiplie les contraintes, parce que les adaptations qui seraient nécessaires post-effondrement paraissent une régression des conditions de vie avec une mentalité pré-effondrement. Par exemple, dans de nombreux endroits aux États-Unis, éduquer un enfant dans un lieu sans électricité, chauffage, eau courante peut être assimilé à de la maltraitance envers les enfants, et les autorités débarquent et soustraient les enfants. Si il y a des grands-parents concernés, alors les malentendus se multiplient. On peut mettre quelques espoirs dans des communautés volontaires : des groupes qui décident de faire le pas en milieu rural.
Quand il s’agit de groupes plus importants : les villes, par exemple, toute discussion sérieuse sur l’effondrement est hors de portée. Les sujets de discussion porteront sur la manière de perpétuer le système actuel par d’autres moyens : énergies renouvelables, agriculture biologique, inaugurer ou soutenir des entreprises locales, le vélo au lieu de voitures, etc. Ce ne sont certainement pas de mauvaises choses à discuter, ou à faire, mais qu’en est-il de la simplification sociale radicale qui sera nécessaire ? Et y a-t-il une raison de penser qu’il est possible d’atteindre cet objectif de simplification radicale par une série de mesures contrôlées ? N’est-ce pas un peu comme demander à une équipe de démolition de démolir un bâtiment brique par brique au lieu de la manière habituelle. A savoir, le dynamiter, le faire exploser, le raser et débarrasser les débris ?

20. Mieux vivre par la bureaucratie

Beaucoup de personnes croient encore en la bonté du système et les pouvoirs magiques de la politique. Ils croient qu’un plan réellement bon peut être acceptable pour tous - c’est à dire l’ensemble de la pyramide de l’organisation internationale complexe et non viable. Ils croient qu’ils peuvent prendre tous ces bureaucrates internationaux par la main, les amener au bord de l’abîme qui marque la fin de leur carrière bureaucratique, et leur demander poliment de sauter dans le vide. Mais ne vous méprenez pas, je ne cherche pas à les arrêter. Laissez-les élaborer leurs projets brillants, quels qu’ils soient.

21. Approches plus simples : l’investissement

Il y a des approches beaucoup plus simples qui sont susceptibles d’être plus efficaces. Comme la plupart des richesses sont entre des mains privées, c’est en fait aux individus de prendre des décisions très importantes. Contrairement à la bureaucratie et aux diverses organisations civiles qui manquent de fonds et sont engluées dans l’inertie sociale, les gens peuvent agir de manière décisive et de façon unilatérale. Le problème : que faire avec des actifs financiers avant qu’ils ne perdent de la valeur ? La réponse : investir dans des choses qui gardent de la valeur, même après que tous les actifs financiers soient sans valeur : les terres, les écosystèmes et les relations personnelles. La terre n’a pas besoin d’être en état naturel ou vierge. Après une vingtaine d’années, toute parcelle de terre revient à une nature sauvage et, contrairement à un désert urbain ou industriel, une région sauvage peut maintenir en vie l’homme et d’autres espèces. Elle peut nourrir une population de plantes et d’animaux, sauvages et domestiques, et même quelques humains.
Les relations humaines qui sont les plus propices à la préservation des écosystèmes sont celles qui ont elles-mêmes un lien direct et permanent avec la terre. On peut les enregistrer comme locations permanentes, héréditaires payables en récoltes durables de produits naturels. On peut également les enregistrer comme servitudes contractuelles qui fournissent la communauté en chasse traditionnelle, cueillette et droits de pêche, à condition que les droits de l’homme ne soient pas autorisés à prévaloir sur ceux des autres espèces. Je pense que la métaphore du sauvetage est pertinente ici, parce que la conduite morale qu’elle offre est claire. Que doit-il arriver dans un canot de sauvetage surchargé quand un orage éclate et qu’il devient nécessaire d’alléger la charge ? Chacun tire au sort. Ces pratiques ont été confirmées par les tribunaux, à condition que nul ne soit exempté - ni le capitaine, ni l’équipage, ni le propriétaire de la compagnie maritime. Si une personne est exemptée, la charge devient un meurtre. La durabilité, qui est nécessaire à la survie du groupe, peut avoir son prix en vie humaine, mais l’humanité a survécu à beaucoup de ces événements auparavant, sans sombrer dans la barbarie.

22. Le don comme principe organisateur

Beaucoup de gens ont été tellement endoctrinés par la propagande commerciale qu’ils ont du mal à imaginer que tout peut être mis en oeuvre sans recourir à l’argent, les marchés, l’appât du gain, et d’autres moyens capitalistes. Et il semble utile de présenter quelques exemples de très grands succès obtenus sans recours à aucun de ces expédients.
En particulier, les logiciels Open Source, qu’on a dénommé par dérision «logiciel libre» ou «shareware», sont une grande victoire de l’économie de don sur le commerce. «Logiciel libre» n’est pas une étiquette précise, pas plus que «les nombres premiers libres» ou «les encyclopédies libres». Personne ne paie pour ces choses, mais certaines personnes sont assez stupides pour payer pour des logiciels. Le «libre» est généralement meilleur, et si vous ne l’aimez pas, vous pouvez le corriger. Gratuitement.
La recherche scientifique fonctionne sur des principes similaires. Personne ne tire directement de bénéfices de la formulation d’une théorie ou du test d’une hypothèse ou de la publication des résultats. Cela fonctionne en termes de réciprocité et de prestige - comme avec le logiciel.
D’autre part, lorsque la motivation pécuniaire prend le dessus, le résultat est médiocre. Et donc on a un logiciel cher qui est constamment défectueux. (J’ai appris que la marine britannique envisage d’utiliser un système d’exploitation de Microsoft dans leurs sous-marins nucléaires, ce qui est une nouvelle effrayante.) Les océans sont également pleins de déchets en plastique - le développement de tous ces «produits» flottant dans les océans n’aurait sûrement pas été possible sans l’appât du gain. Et ainsi de suite.
En tout, la motivation du profit échoue à motiver un comportement altruiste, parce qu’il n’est pas réciproque. Et c’est un comportement altruiste qui augmente le capital social de la société. Dans un système de dons, nous pouvons tous être endettés envers chacun, mais s’endetter nous rend tous plus riches, et non plus pauvres.

23. Le troc comme principe organisateur

Les dons sont magnifiques, bien sûr, mais parfois nous voudrions quelque chose de spécifique, et sommes prêts à travailler avec d’autres pour l’obtenir, sans recours à l’argent, bien sûr. C’est là le principe de base du troc. En général, vous troquez quelque chose dont vous avez le moins d’utilité (l’une des nombreuses choses que vous pouvez offrir) contre quelque chose dont vous avez plus d’utilité (quelque chose que vous désirez).
Les économistes vous diront que le troc est inefficace, car il exige la «coïncidence des besoins» : si A veut troquer X contre Y, il ou elle doit trouver B qui veut troquer Y contre X. En réalité, la plupart de ceux que j’ai rencontrés ne veulent pas troquer X contre Y, ou Y contre X. En fait, ils veulent troquer ce qu’ils peuvent offrir contre tout un ensemble de choses qu’ils désirent.
Dans le système économique actuel, nous sommes obligés de troquer notre liberté, sous la forme de la semaine de travail obligatoire, contre quelque chose que nous ne voulons pas particulièrement, à savoir l’argent. Les choix sont limités pour ce qu’on peut faire avec cet argent : payer des impôts, les factures, acheter des biens de consommation de mauvaise qualité, et peut-être, quelques semaines de «liberté» en tant que touristes. Mais d’autres options existent.
Une option est de s’organiser en communautés pour produire les biens utiles à l’ensemble de la communauté : la nourriture, les vêtements, le logement, la sécurité, le divertissement... Tout le monde apporte sa contribution, en échange du produit final, que chacun va partager. On peut également s’organiser pour produire des biens qui peuvent être utilisés dans les échanges avec d’autres communautés : les biens d’échange qui sont une bien meilleure façon de conserver la richesse que l’argent, qui n’est, après tout, qu’une substance essentiellement inutile.

24. Monnaies locales/alternatives

On discute beaucoup sur les moyens de changer la fonctionnement de l’argent, de sorte qu’il puisse servir les besoins locaux plutôt que d’être l’un des principaux outils pour l’extraction des richesses de l’économie locale. Mais on ne discute pas de la raison pour laquelle l’argent est généralement nécessaire. C’est un à priori. Certaines communautés n’ont que peu ou pas d’argent. Elles enterrent peut-être un pot de pièces quelque part dans le jardin, pour les occasions spéciales, mais n’ont pas d’argent pour l’usage quotidien.
Le manque d’argent rend certaines choses très difficiles. Par exemple : les jeux d’argent, les prêts usuraires, l’extorsion, la corruption et la fraude. Il rend également plus difficile d’amasser des richesses, ou de l’extraire d’une communauté et les transférer ailleurs commodément sous forme compacte. Lorsqu’on utilise l’argent, on cède le pouvoir à ceux qui créent de l’argent (par la création de la dette), et qui détruisent l’argent (par l’annulation de la dette). On renforce également le pouvoir de la classe des experts dans la manipulation des règles arbitraires et le calcul des abstractions plutôt que les personnes en relation directe avec le monde physique. Ce voile de la métaphore permet de masquer les niveaux de violence effroyable, par la représentation symbolique d’une simple inscription comptable. Les gens, les animaux, les écosystèmes deviennent de simples numéros sur un bout de papier. D’autre part, cette capacité de représenter les différents objets par des symboles identiques provoque beaucoup de confusion. Par exemple, j’ai entendu des gens plutôt intelligents déclarer que les fonds publics, qui ont été alloués à des institutions financières pour les faire paraître solvables, pourraient être beaucoup mieux dépensés pour l’alimentation des veuves et des orphelins. C'est une incompréhension totale que des quantités astronomiques de chiffres créés ex nihilo et transférés entre deux ordinateurs (un à la banque centrale, l’autre à une banque privée) ne puissent pas directement nourrir tout le monde, parce qu’on ne mange pas des chiffres mais de la nourriture que les banques sont incapables de créer ex nihilo.

25. Croyance en la science et la technologie

Une accusation que j’ai souvent entendu est que je ne comprends pas le pouvoir de l’innovation technologique et le système de libre marché. Si je le faisais, je pourrais apparemment avoir plus de foi en un avenir où la technologie avancée balayerait nos dilemmes actuels, les remplaçant par une nouvelle vague d’éco-développement durable. Mon problème est que je ne suis pas un économiste ou un homme d’affaires : je suis un ingénieur avec une formation scientifique. Le fait que j’ai travaillé pour plusieurs start-up technologiques n’arrange rien.
Je sais à peu près le temps qu’il faut pour innover : avoir l’idée, convaincre les gens qu’il vaut la peine d’essayer, essayer, échouer à plusieurs reprises, éventuellement réussir, et arriver ensuite à la phase d’utilisation réelle. Il faut des décennies. On ne les a pas. On a déjà échoué à innover le moyen de s’en sortir.
De plus, à bien des égards, l’innovation technologique nous a fait un grand tort. Un bon exemple est l’innovation dans l’agriculture. La soi-disant «révolution verte» a permis d’augmenter les rendements des cultures en utilisant la pétrochimie, créant des générations d’agro-toxicomanes ne dépendants que d’une ou deux cultures. En Amérique du Nord, des échantillons de cheveux ont permis de déterminer que 69% de tout le carbone provient d’une seule plante : le maïs. Alors, quelle innovation technologique va-t-on imaginer pour que cette population dépendante du maïs puisse diversifier ses sources d’alimentation et apprendre à se nourrir sans utiliser la pétrochimie ?
Croire que la technologie va nous sauver est illusoire. Les efforts visant à créer des machines intelligentes ont échoué parce que les ordinateurs sont beaucoup trop difficiles à programmer, mais les humains se révèlent faciles à programmer pour les ordinateurs. Partout où je vais, je vois des gens faire appel à leurs unités d’aide mentale. Beaucoup d’entre eux ne peuvent plus fonctionner sans elles : ils ne savent où aller, à qui parler, ou même où trouver des repas sans un petit boîtier électronique qui leur dise quoi faire.
Tout ça sont de grands progrès pour le maïs et pour le iPhone, mais est-ce pour autant un progrès pour l’humanité ? J’en doute. Avons-nous vraiment envie de ne manger que du maïs et de ne regarder que des pixels, ou faut-il accorder plus d’attention à la vie ? Certains croient en l’émergence du royaume de l’intelligence en réseau - une sorte d’utopie de l’intelligence artificielle, en réseau - où les machines deviennent hyperintelligentes et résolvent tous nos problèmes. Et notre plus grand espoir serait que, en cas de besoin, les machines soient aimables pour nous et nous montrent la bonté ? Si c’est le cas, quelle raison auraient-elles de nous respecter ? Pourquoi ne voudraient-elles pas plutôt nous tuer ? Ou nous asservir. Oh, un instant, peut-être le font-elles déjà !

26. La nécessité d’évoluer

Maintenant, en supposant que tout aille bien, et que nous subissions un effondrement rapide et décisif, ce qui surviendrait est la renaissance tout aussi rapide des communautés et écosystèmes locaux viables. On pourrait redouter que l’effort manque de personnel qualifié pour y parvenir.
Il est regrettable que les derniers siècles de vie réglée, et plus particulièrement du siècle dernier où la vie facile sur la base du modèle industriel, ont rendus beaucoup de gens trop mous pour endurer les difficultés et les privations que l’auto-suffisance implique souvent. Il semble très probable que ces groupes qui sont actuellement marginalisés s’en sortiraient mieux, surtout s’ils se trouvent dans des zones économiquement sous-développées et n’ont jamais perdu le contact avec la nature.
Et je ne serais pas surpris de voir ces groupes marginalisés faire un come-back. Presque tous les endroits en zone rurale ont une population capable d’utiliser les ressources locales. Ils sont la composante humaine des écosystèmes locaux, et, en tant que tels, ils méritent beaucoup plus de respect que ce qu’on leur accorde. On ne devrait pas les importuner s’ils ont des manières ou un langage rustre. Ceux qui les considèrent comme primitifs, ignorants et sans instruction seront choqués de découvrir à quel point ils peuvent apprendre d’eux.

27. Au-delà de la planification

Alors, que devons-nous faire entre-temps, en attendant l’effondrement, suivi par de bonnes choses ? Il ne sert à rien de perdre votre énergie, courir de tous côtés et vieillir prématurément, alors prenez beaucoup de repos, et essayez de vivre une vie lente et mesurée. Une des façons dont la société industrielle nous domine est l’utilisation de la sirène d’usine : peu d’entre nous travaillons dans des usines, mais nous sommes encore appelés à travailler à heure fixe. Si vous pouvez éviter cela, vous aurez de l’avance. Conservez votre liberté de décider ce qu’il faut faire à chaque instant, de sorte que vous pouvez faire chaque chose au moment le plus opportun. Plus précisément, essayez de vous donner le plus d’options possibles, de sorte que si une seule chose ne semble pas fonctionner, vous pouvez passer à une autre. L’avenir est imprévisible, donc essayez de planifier de manière à être capable de changer vos plans à tout moment. Apprenez à ignorer toutes les personnes qui gagnent leur vie en vous racontant des mensonges. Remercions-les, le monde est plein de très mauvaises idées qui sont acceptées comme la sagesse conventionnelle, alors restez attentifs et tirez vos propres conclusions. Enfin, ceux qui n’ont pas le sens de l’humour vivront des temps très difficiles, et risquent de peser sur leur entourage. De plus, ils ne sont tout simplement pas si amusants. Donc, évitez les gens qui ne sont pas drôles, et recherchez ceux qui peuvent plaisanter quoi qu’il arrive.

Post Scriptum

Dans mon précédent post, j’ai cité quelques chiffres de François Cellier. Pour ce faire, j’ai utilisé par inadvertance le mot «pétrole», au lieu du mot «énergie». En conséquence, j’ai mal calculé le prix approximatif du pétrole en pourcentage du PIB à partir du moment où l’économie mondiale stagne à 25% au lieu de 6%. Les chiffres précis ne sont pas pertinents pour le reste de mon argument, cependant, beaucoup de gens (qui sont apparemment calés en arithmétique, mais pas grand chose d’autre) ont décidé que c’était une raison de m’appeler de différents noms. J’ai un nom pour eux : j’aime à les appeler «les arithméticuleux». Les autres peuvent ignorer ces détails et se concentrer sur ce qui est important : redressement économique -> hausse des prix du pétrole -> krach économique. Répétez autant de fois que nécessaire pour apprendre la leçon : plus de croissance n’est plus possible.

Par Dmitry Orlov
Traduction : Jean-Christophe Godart
Version anglaise originale

2 commentaires:

  1. La Crise (financière, puis contaminant l'économie réelle) a été manufacturée par les Banksters et les Elites, réunies dans les conclaves comme le Bilderberg et les forums de Davos etc.
    Ils ont certes dévasté la planète, détruit les forêts, détruit l'agriculture paysanne respectueuse de l'environnement, bétonné, pollué, provoqué les guerres etc.
    Maintenant ils déclenchent le compte à rebours et préparent ce qu'il faut pour leur objectif de dépeuplement radical, de 80 à 90%, comme il est écrit dans le 1° commandement des tables du monument "Georgia Guidestones" : "une population d'équilibre de 500 millions".
    Ce sont les esprits pychopathes des Elites qui ont défini ce seuil, considérant que la majorité de l'humanité est parasite et inutile, se reproduisant trop (inversion de la réalité, les parasites ce sont eux).

    Quand on ose dire que l'Américain moyen gagne 100 000$ annuels, il faudrait relativiser et montrer que 1% gagne des dizaines de millions et que 9 ou 10% 1 million et les autres, les 90% se contentent de 10000$. D'où les "99% versus les 1%" dans une société de plus en plus hiérarchisée et inégalitaire...
    Certes, le "roi $" n'a plus lieu d'être, c'est une imposture, puisque la monnaie n'est plus que virtuelle et sans contre-valeur réelle.
    Le changement de civilisation se fera avec des communautés locales, en auto-gestion, avec probablement une monnaie locale après l'effondrement. Après tout, au far West et jusqu'au début du 20° siècle, les habitants des E-U profonds vivaient de manière rustique mais vivaient bien, et chaque bourgade avait ses artisans et commerçants (forgerons, carossiers, charpentiers, docteur, saloon etc).

    Revenir à un mode de vie localisé, tendant vers l'autonomie et l'auto-suffisance, commerçant localement, cela n'est en rien une catastrophe comme on voudrait nous le faire croire, bien au contraire! C'est retrouver le sens de la vie, une vie simple en communauté.

    L'ami Pierrot

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  2. Merci pour cet article que je ne pourrais malheureusement pas partager car personne dans mon entourage ne le comprendrai.
    J'ai abandonné tout espoir de leurs faire comprendre que 1+1=2
    Alors j'ai pris ma décision de partir en milieu rural.
    Joachim

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